Il Ă©tait une fois un gnome qui vivait dans une maison de pierre prĂšs dâune forĂȘt. Cette maison avait Ă©tĂ© construite par son grand-pĂšre il a deux siĂšcles, avec des pierres de la carriĂšre de lâautre cĂŽtĂ© de la forĂȘt, une grande plaine oĂč poussaient coquelicots, achillĂ©es millefeuilles, et autres oseilles. La forĂȘt Ă©tait un fort Ă©trange lieu, et Gradiou, notre gnome, craignait de sây aventurer. Les meilleurs pisteurs sây perdaient. Une exploratrice fameuse il y a un siĂšcle, Harelle de Lirant, sây Ă©tait enfoncĂ©e, avant de rĂ©apparaĂźtre aprĂšs 30 ans.
Tout le monde au village pensait quâHarelle Ă©tait devenue folle, et elle mourut peu aprĂšs la naissance de Gradiou, reconnue uniquement pour les Ă©tranges histoires quâelle racontait. Elle disait quâil y avait dans cette forĂȘt tout un continent, alors quâon pouvait en faire le tour en quelques jours de marche. Quelques jours aprĂšs le solstice dâhiver de sa derniĂšre annĂ©e, un scribe se tenait avec elle pendant quâelle racontait ses histoires aux enfants :
« On Ă©tait le milliĂšme jour de mon expĂ©dition. Dans cette maudite forĂȘt les enfants, il ne suffisait pas de tourner quatre fois en angle droit pour faire le tour dâune piĂšce, oh non ! On devait tourner cinq fois pour revenir sur ses pas. Prenez un mauvais virage deux-trois fois, et vous voilĂ Ă des centaines dâenjambĂ©es de la sortie ! Jâen ai vu des choses. Au milliĂšme jour jâavais avec moi Mastable, mon guide. Je lâavais rencontrĂ© dans la citĂ© dâIort, une citĂ© cĂŽtiĂšre qui devint le centre dâune rĂ©volution, la rĂ©volution des Toiles dâArgent.
« Ces toiles dâargent Ă©taient fabriquĂ©es par des ouvriĂšres qualifiĂ©es Ă la fois en magie et en filature. » Ă ces mots, le scribe leva un sourcil. La magie nâexistait plus enfin ! Mais ces histoires avaient le don de maintenir en haleine les enfants, et Ă les dissuader in fine dâaller dans la forĂȘt. Gradiou fut tentĂ© une fois dây aller, quand il nâavait que 40 ans, sur le chemin de lâĂ©cole, mais il se ravisa en se souvenant des histoires de Harelle que lui lisait sa mĂšre le soir 20 ans plus tĂŽt.
Harelle poursuivait : « Ces toiles servaient Ă tout au quotidien, on pouvait en faire des habitats lĂ©gers et rĂ©sistants, y prĂ©server de la nourriture, sâhabiller pour lâĂ©tĂ© comme pour lâhiver⊠Mais voilĂ , le tyran qui rĂ©gnait depuis peu sur la contrĂ©e oĂč se situait Iort avait dĂ©cidĂ© de toutes les rĂ©quisitionner afin dâaller faire la guerre contre les Ombres Volantes. Le peuple savait que ces ombres nâĂ©taient pas malĂ©fiques, et on les voyait parfois le soir flotter lentement au dessus des nuages roses. Le tyran voulait sâen dĂ©barrasser car elles reprĂ©sentaient selon lui un Ă©lĂ©ment de dĂ©sordre, et il voulait affermir son pouvoir.
« Alors au lieu dâobĂ©ir, les habitants dâIort ont utilisĂ© les toiles dâargent pour rĂ©sister. Comment a-t-on fait pour gagner contre toute une armĂ©e ? HĂ© bien câest quâĂ Iort, ville aussi riche dans son ensemble que chaque habitant Ă©tait pauvre, il en avaient dans le citron. Mastable et moi avions rencontrĂ© un groupe qui avait organisĂ© un traffic de livres depuis la bibliothĂšque royale de la capitale, Ă travers dâanciens sous-terrains remis en service.
« Nous avions en particulier connu QuiĂ©rĂ©, une amibe humanoĂŻde qui aprĂšs une symbiose accidentelle avec un humain Ă©tait devenu un ĂȘtre socialisĂ©, cherchant Ă retrouver une sorte de fusion avec lâAutre Ă travers une rĂ©flexion politique sur la libertĂ© et lâentraide. QuiĂ©rĂ© avait Ă©tudiĂ© une diversitĂ© de textes, et les enseignait avec plaisir Ă qui le voulait. QuiĂ©rĂ© sâefforçait aussi dâinspirer ses pairs, tout en restant cachĂ©. Je me souviens particuliĂšrement de lâun de ses discours au ton prophĂ©tique, prononcĂ© sur une petite place de quartier que nous avions rĂ©amĂ©nagĂ©e au mieux, sous les Ă©toiles, entre les bougies :
« Je crois quâun jour chacun pourra se tenir par la main sans crainte quâelle ne dissimule un poignard. Je crois quâun jour, on saura aider le voisin avant quâil ne meure de faim. Je crois quâun jour, on ne sâentre-dĂ©chirera pas car nous ne sommes pas tous de la mĂȘme espĂšce. Je crois que ce jour se lĂšvera par nos efforts et notre intelligence. Nous serons plus malins que le mal qui ronge ceux qui se sont dĂ©signĂ©s comme nos ennemis. Il ne suffit cependant pas de simplement dire âje croisâ, il faut vraiment sâimaginer. Alors imaginons ce que serait si toi Ătal tu avais cette fille que tu dĂ©sirais tant. Quand le jour viendra, comment pourra-t-elle vivre ? »
Ă cela Ătal rĂ©pondit presque sans hĂ©siter : « Ma fille nâaura pas peur des garçons car ce seront ses amis. Elle ira Ă©tudier ce que bon lui semble, et ce sera une dĂ©cision sage car je lâaura convaincu en son fort intĂ©rieur des vĂ©ritĂ©s que jâai Ă lui transmettre. Je nâaurai pas besoin de gifler comme mon pĂšre mâa giflĂ©. Elle comprendra le monde qui lâentoure par les livres et lâexpĂ©rience directe. Elle ira peut-ĂȘtre naviguer au-delĂ de lâIortan et rencontrer dâautres peuples, et ramĂšnera des idĂ©es fraĂźches. Jâai entendu dire dâun marin que lors dâune expĂ©dition lointaine ils avaient vu au loin les pics de montagnes.
« Personne ne les a cru, mais moi si. Dans un rĂȘve jâai vu ce quâelle fera, si nous rĂ©ussissons Ă rĂ©sister. Ma fille rencontrera sur une Ăźle des ĂȘtres entre notre monde et un autre. Pas des fantĂŽmes, mais des ĂȘtres Ă cheval entre ici et un autre endroit sans terre ni air. Ils lui enseigneront des secrets pour comprendre comment notre monde sâorganise en poussiĂšres, rocs, plantes, animaux, Ă©toiles. En allant plus en avant de son expĂ©dition, elle rencontrera un groupe dâhumains vivant entre une cĂŽte et un grand dĂ©sert de sable. Elle leur dira ceci :
[âŠ]
Jâaurais voulu trouver un moyen de reboucler avec chaque narration du niveau supĂ©rieur, mais je voyais pas comment faire sans que ça devienne super long. De toute façon, lâĂ©tude Ă©tait dĂ©jĂ une rĂ©ussite : emboĂźter encore et encore des dĂ©tails et narrations, sans sâarrĂȘter. Câest Ă©tonnamment stimulant crĂ©ativement !

